En cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Samusocial Peru organise plusieurs évènements à Huaycán et à Santa Rosa, dont une partie sera diffusée sur Radio Emmanuel, pour les personnes étant au Pérou.
L’occasion pour nous de vous livrer aussi le témoignage de Michèle Vert-Nibet, Administrateur de notre association, sur sa mission au Pérou et en Colombie.
Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ? Votre engagement auprès du Samusocial International ?
Je me suis engagée dans ma commune durant 4 mandats d’élue, deux mandats en tant qu’adjointe au Maire, et deux mandats en tant que Maire. Je me suis retrouvée confrontée aux problèmes de gens en grande précarité. A ce moment-là j’ai rencontré le Dr Xavier Emmanuelli.
Sa vision de l’homme exclu, qui garde toujours et malgré tout sa dignité profonde a eu un profond écho en moi-même. Je me suis ainsi engagée à ses côtés en 1995 au Samusocial de Paris, et en 1998 avec le Samusocial International.
Le Samusocial Perú et vous ?
Depuis mon engagement auprès du Samusocial International, j’ai effectué quatre missions au Pérou, ce qui fait que j’ai assisté au projet depuis ses débuts.
C’est très gratifiant de voir naître un projet, de l’accompagner lors de ses difficultés et de le voir aboutir. Même si un projet n’est jamais figé, qu’il a sa propre vie. Des milliers de personnes vivent dans des conditions que l’on n’imagine même pas ici en Europe. Le danger est de se dire « c’est impossible », le vrai danger est là . Il faut être fidèle au principe de la goutte d’eau. Car cette goutte d’eau sauve.
Et le projet à Lima aujourd’hui ? Quel rôle pour le Samusocial Perú ?
Cette mission a été très intéressante, non seulement de voir le projet à Huaycán abouti et dans une phase de transfert à la municipalité, mais surtout de voir ce projet se démultiplier.
Dans une lointaine commune de Lima, à Santa Rosa, des endroits où existent des terrains que personne ne veut, car sans eau, sans électricité, rien. Plus de trois milles personnes s’y installent chaque année et le maire de Santa Rosa, ayant connu le projet à Huaycán, a fait appel au Samusocial Perú.
Ainsi, le Samusocial Perú prend de l’ampleur. Le but est que la mairie ensuite prenne le relais. La Mairie de Ate s’est dite prête à reprendre ce service. Ce qui est dans le droit fil de notre démarche.
Je pense que les gens ne savent pas très bien comment fonctionne le Samusocial Perú.
Au départ, il n’y a rien. Juste une camionnette blanche (avec un chauffeur, une infirmière et une psychologue) qui arrive à Huaycán et se plante là , au milieu du chaos, et ne bouge pas. L’équipe attend.
Peu à peu des curieux s’approchent. Commencent à parler à l’équipe. Peu à peu des personnes leur racontent leurs problèmes et les amènent chez eux à la rencontre d’une personne qui souffre. Peu à peu l’équipe entre dans les foyers et prend connaissance des problématiques de violence quotidienne. Peu à peu elle note ces situations et élabore un suivi des personnes rencontrées.
Le symbole est fort, du camion blanc posé à flanc de collines.
A Huaycán depuis, on a construit un bâtiment, un centre où on accueille les femmes en difficulté. Il y a énormément de violences à Huaycán. On soigne ceux que personne ne veut soigner. Car ces personnes n’ont pas d’existence légale.
Le problème de ces banlieues est qu’elles sont constituées par des personnes venues attirées par les lumières de la ville. Certaines ne parlent même pas espagnol, les hommes sans travail deviennent violents par désespoir, la violence conjugale est épouvantable.
C’est là où la philosophie de Xavier Emmanuelli prend toute son importance : aller au-devant et ne pas s’imposer. Ne pas donner de leçons. D’ailleurs on ne va que là où on nous le demande.
Du Pérou à la Colombie, quelles ont été vos impressions/réflexions en arrivant à Bogota ?
La Colombie est encore plus complexe. Le schéma des déplacés est certes le même : les déplacés viennent vers les villes et se retrouvent à leur ceinture. Au Pérou, à Santa Rosa, le Maire doit faire face à 3 000 nouvelles personnes qui arrivent chaque année. En Colombie, dans la banlieue de Bogota, à Soacha, ce sont 15 000 personnes qui arrivent chaque année. Ces déplacements énormes sont provoqués par l’instabilité politique et par les diverses guerillas.
A Lima, il ne pleut quasiment jamais. Donc les maisons sont faites de canisses. Comme dans toute misère, il y a toujours des débrouillards. Ainsi en bas de chaque bidonville, on trouve des vendeurs de canisse. A Lima, ils appellent ces bidonvilles les « chosas ». Lima est dans une cuvette face à la mer. Tout autour c’est montagneux, des vallons remplis de ces « chosas », en terrains escarpés. Il faut gravir la montagne pour atteindre sa « chosa ». Certains maires pour se faire élire promettent des escaliers pour faciliter la grimpée au « village ». Ainsi on voit dans la montagne des escaliers peints en jaune, pour plus de visibilité.
A Huaycán on voit une nette progression. Les maisons deviennent plus solides et l’électricité arrive dans certains endroits.
En Colombie, ce qui est nouveau, c’est que la Colombie a voté pour la première fois une loi qui reconnait les droits des victimes. On reconnait donc qu’il y a des victimes ; d’où des besoins en termes de formation pour les professionnels qui vont traiter ces problèmes.
La démarche envisagée par le Samusocial International est double.
Premièrement, organiser une formation sur l’approche des victimes en partenariat avec l’Université de Rouen et de Bogota.
Deuxièmement, mettre en place un dispositif similaire à ceux de Huaycán et de Santa Rosa au Pérou, dans la banlieue de Soacha. C’est-à -dire commencer par une camionnette blanche.
Lors de ce voyage, grâce au large travail relationnel effectué par Christian Bouteille, chef de projet pour la délégation GIZ en Colombie, nous avons rencontré l’adjoint au maire de Soacha, en charge des affaires sociales. C’est lui qui nous a parlé des 15 000 nouveaux arrivants à Soacha chaque année. Nous avons également pu rencontrer le sénateur José JoaquÃn Carmelo Ramos qui va appuyer nos démarches. Enfin nous avons rencontré le Père Gabriel Izquierdo, figure de la lutte contre la guérilla et de soutien aux victimes du conflit en Colombie.
Au Pérou, comme en Colombie, nous avons également été accueillis par les Ambassadeurs de France, qui reconnaissent toute la pertinence de notre intervention.
Une anecdote de cette mission à partager ?
A Santa Rosa, au Pérou, perdus dans un décor désertique et lunaire, nous avons déjeuné dans un petit restaurant qui nous a servi un plat local, du « Cui », qui est en réalité du hamster ! (ndlr: photos disponibles sur demande).
Un petit mot de la fin concernant cette mission ?
Le Samusocial est vraiment pensé, conçu et adapté pour les endroits oubliés et pour apporter un soulagement aux véritables damnés de la terre.