Comment est née l’idée d’organiser ce camp ?
L’idée est née lorsque je suis arrivée à mon poste en Egypte début mai. J’ai fait un tour des professionnels qui travaillent au Samusocial International Egypte notamment pour collecter des nouvelles idées d’action. Sherif Abd ‘El Fatah, notre coordinateur social, a partagé à ce moment son « rêve » : emmener en weekend, au moins une, voire plusieurs fois par an, les enfants que l’on rencontre tous les jours dans la rue pour y mener des activités plus suivies que celles que l’on peut mener dans la rue, le temps d’un passage en soirée. Pour nous, cette activité n’était pas réalisable tout de suite car cela ne faisait pas partie de nos activités principales, mais j’ai rencontré un donateur, Alexbank, qui travaille beaucoup avec des organisations de la protection de l’enfance, et qui était très intéressé pour nous financer un camp avec des enfants. C’est donc grâce à Alexbank que s’est concrétisée l’idée du camp.
En quoi a consisté la tenue de ce camp ? Comment s’est-il déroulé ?
L’idée était de proposer à des enfants de 8 à 15 ans de passer deux jours dans un camp qui s’appelle Fagnoon Art School où on peut y mener des activités artistiques. Nous souhaitions profiter de ces 2 jours pour travailler avec eux, avec l’appui d’un psychologue, sur les risques auxquels ils s’exposent et comment s’en protéger. L’idée a évolué parce que, sur la proposition d’Alexbank, Hope Village, une ONG qui dispose d’un centre d’hébergement, a également participé à ce camp. Il s’agissait donc de mélanger des enfants vivant à la rue et des enfants hébergés en centre, et de partager des temps de discussion sur leurs modes de vie respectif avec l’objectif de donner envie à ceux dans la rue d’aller en centre d’hébergement.
Mais il s’agissait également d’offrir la possibilité à des jeunes usés par la rue de se retrouver à l’abri, dans des conditions de sécurité, avec plusieurs repas équilibrés, et le soutien d’adultes qui travaillent avec eux : coordinateurs sociaux, psychologues, animateurs etc… Mais sans engagement de durée, ce qui leur fait souvent peur quand on leur propose de rejoindre un centre d’hébergement.
Comme autre objectif, il y avait celui de donner la possibilité à chaque enfant de se découvrir des talents grâce à une multitude d’activités proposées, notamment manuelles. 0n tenait à ce que chaque enfant puisse ressortir avec un projet. Et par projet, on n’entend pas projet à long terme ou ambitieux, qui soit par exemple sortir de la rue. Cela peut vouloir dire « j’ai compris l’importance de l’hygiène et je vais plus faire attention à me laver les mains », car pour des enfants très désocialisés c’est une étape importante que de prendre conscience de la nécessité de prendre soin de soi, cela veut dire qu’on commence à prendre conscience du fait qu’on vaut quelque chose.
Nous souhaitions également « semer des graines », on ne veut pas dire par là que les enfants vont nécessairement avoir envie de sortir de la rue après avoir passé ces deux jours à échanger avec des enfants vivant dans des centres d’hébergement mais au moins l’idée peut commencer à germer dans leur tête. Nous avons donc entamé un travail, qu’il va falloir continuer tout au long des maraudes. Il s’agissait de se donner d’autres moyens pour relayer le travail que l’on fait dans la rue avec les enfants, ce qui nous a permis d’approfondir les choses. De plus, ce camp s’est construit avec les enfants, dans l’idée d’ « aller vers », et de « construire avec ». Quand on a su qu’on avait ce financement d’Alexbank pour le camp, nous sommes allés voir les enfants des rues d’un même quartier pour éviter toutes rivalités entre les bandes. Nous leur avons demandé dans quel endroit ils souhaitaient aller, quelles activités ils souhaitaient y mener et nous avons construit le programme en fonction de leurs attentes.
En tout 20 enfants ont participé à ce camp, 10 filles et 10 garçons ; le point fort de ce camp était de mélanger les filles et les garçons qui d’habitude se rencontrent très peu.
Nous nous sommes très vite sentis en famille, il y avait un vrai mélange entre les filles et les garçons mais également entre les bénéficiaires des deux associations. Ce n’était pas un camp de vacances ni un camp de jeu, ce camp répondait à des objectifs bien définis. On a pu remarquer une grande implication des enfants et un respect des règles, même s’il s’agit d’un exercice difficile. Je tiens à saluer le travail des équipes, qui ont vraiment su faire respecter des codes, que ces enfants ne respectent pas dans la vie de tous les jours.
Il s’agissait d’une expérience pilote, nous n’avions encore jamais organisé de camp, donc on a voulu tenter l’expérience avec peu d’enfants, encadrés par beaucoup d’adultes (14) avant d’en organiser un plus grand – le souhait de notre donateur étant d’en organiser un plus grand sur 4 jours.
Qu’en ont retiré les enfants qui ont pu y participer ?
Ils ont pu tout d’abord se « re-familiariser » avec une manière de vivre différente de celle de la rue, tant sur des choses agréables que sur des choses qui peuvent être pour eux plus contraignantes. S’agissant des choses agréables, ils ont pu bénéficier de repas équilibrés et servis généreusement, ils ont pu choisir leurs activités et les faire entre amis, avec des professionnels qui les accompagnent. Quant aux contraintes, il s’agissait de se réhabituer à un programme avec des horaires imposés, écouter l’autre quand il parle, demander la parole pour pouvoir s’exprimer quand on est en groupe.
Pendant le camp, ils ont pu réfléchir sur des problématiques telles que les violences sexuelles puisque nous avons eu deux ateliers de discussions de prévention : l’un concernait les violences sexuelles vécues dans la rue et l’autre concernait la vie à la rue et la vie en centre d’hébergement, et tous les deux étaient animés par un psychologue. La présence de ce psychologue a été un vrai plus, les enfants qui avaient besoin d’un soutien psychologique ont pu le voir lorsqu’ils le souhaitaient, ce qui a nous a permis de conforter notre conviction qu’un psychologue est indispensable au travail individualisé avec les enfants des rues. De plus, les enfants ressortent de ce camp avec une plus grande confiance envers nos équipes, les enfants qui ont participé au camp sont encore plus proches des professionnels.
Y’avait-il des temps libres ou s’agissait-il d’une démarche d’encadrement des professionnels ?
Nous étions dans une démarche d’encadrement du temps mais toujours avec des options. Les temps étaient dédiés à des activités mais il y avait un choix entre 6 activités. Les enfants avaient également le choix pendant ces temps d’activités de voir le psychologue en entretien individualisé.
Quels ont été pour toi les évènements marquants de ce weekend ?
Ce qui m’a marqué était de voir qu’on était tous ensemble, notamment quand on chantait le slogan du camp, qui était « Tous ensemble comme d’une seule main, nous allons dessiner nos rêves ensemble depuis Fagnoon »(traduit de l’arabe).
On a eu également l’impression qu’avec du temps, on peut découdre certains stéréotypes notamment à propos des violences sexuelles. Partout dans le monde, on entend dire que les femmes seraient responsables des violences sexuelles qu’elles subissent. On a discuté dans un groupe constitué de filles et de garçons, un des garçons nous a dit qu’il pensait que c’était la faute des femmes, puis à la fin de la discussion, alors qu’il avait entendu des témoignages de garçons qui avaient également subi des violences sexuelles, il est sorti avec un avis différent. Tant pour eux que pour nous, c’est un super résultat.
Quels ont été les retombées de ce camp ? Souhaitez-vous renouveler l’expérience ?
Le camp a eu lieu il y a quelques semaines, il est donc trop tôt pour savoir quelles ont été les retombées durables. J’en retire beaucoup de points positifs : une bonne expérience pilote qui nous permettrait éventuellement en septembre prochain de renouveler l’expérience. J’attends l’évaluation des enfants, et les notes prises par les professionnels, qui serviront pour l’écriture d’un rapport. Je vais donc à la fois analyser l’évaluation des professionnels et celle des enfants avant de pouvoir confirmer que c’était une belle expérience, même si à mes yeux c’en est déjà une !
Nawel Laglaoui était à Paris fin juin pour les journées de coordination. Depuis 3 mois, elle est la directrice du Samusocial Egypte. Avant d’arriver à ce poste, elle a travaillé 1 an à l’ambassade de France en Egypte, et avant cela elle a travaillé pendant 4 ans au Conseil régional auprès de vice présidents qui couvrent les thématiques de développement durable, solidarité et coopération décentralisée. Elle a également toujours été militante dans des secteurs qui concernent la solidarité, l’enfance et notamment l’éducation populaire. Ce poste est donc l’accomplissement de beaucoup de choses : il rejoignait à la fois son envie d’être utile auprès d’enfants et des jeunes et son amour pour l’Egypte en participant à la construction d’une nouvelle société égyptienne en s’impliquant tous les jours auprès d’Egyptiens qui en ont besoin.