Odile Gaslonde, actuellement retraitée, bénévole auprès du Samusocial International en tant que chargée de formation et d’appui technique, et ancienne directrice des soins au Samusocial de Paris, y était. Voici l’histoire d’une rencontre et d’une aventure qui continue aujourd’hui : celle de l’approche « Samusocial ».
Le Samusocial et toi, comment s’est fait la rencontre ?
En 1992, j’étais alors au centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre et j’avais en charge, entre autres, la consultation des personnes sans-abri. Le Docteur Xavier Emmanuelli était le médecin.
Le constat que Xavier Emmanuelli et moi avions fait par rapport à la prise en charge des SDF de Paris amenés par la BAPSA (brigade d’assistance aux personnes sans abri) à Nanterre nous a fait réfléchir sur un moyen plus humain d’aller au-devant des SDF et de leur proposer un service sanitaire et social. De cette réflexion est né le Samusocial de Paris.
Cela a-t-il pris du temps pour monter le projet ?
Au départ, le projet a été soumis à la direction du CASH. Plusieurs mois et de nombreuses démarches ont été nécessaires avant que le projet ne voie le jour : négociations, recherche de financements. Tout s’est accéléré le jour où le projet a reçu l’adhésion de Jacques Chirac, alors Maire de Paris, qui a décidé de soutenir le projet et de mettre à disposition du personnel social et des chauffeurs de la Ville de Paris, un local et des véhicules.
Après diverses réunions entre tous les partenaires (Mairie de Paris, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Croix Rouge, Caisse Dépôts et Consignation, la Lyonnaise des Eaux, RATP, CASH de Nanterre, SNCF, DASS, FNARS etc.), le dispositif a pu être lancé le 22 novembre 1993.
Une raison particulière derrière la date du 22 novembre ?
Le projet était prêt, on entrait dans une période de grand froid, et cela justifiait d’aller à la rencontre des SDF pour leur proposer notamment une mise à l’abri.
Moi je continuais à travailler à Nanterre pendant la journée, et après mes journées de travail, j’assistais aux réunions et je gérais le planning des infirmières qui étaient dans les équipes mobiles. Des infirmières de l’hôpital de Nanterre, de la Croix Rouge et des infirmières bénévoles.
En raison de ma formation de base d’infirmière, je participais aussi aux maraudes.
Alors, ce 22 novembre 1993, cette première maraude ?
Ce fut un moment historique. Je me souviens très bien du briefing avant la maraude avec un démarrage à cinq équipes mobiles. Il y avait à la fois une fierté de participer à une telle action mais aussi une crainte de ce qu’on allait trouver, car c’était aussi une première en présence de Jacques Chirac, de Xavier Emmanuelli et des partenaires qui soutenaient le projet. Il y avait aussi sur place toute l’équipe de régulation qui assurait les appels téléphoniques.
La première nuit, nous avions peur de ne pas avoir de « clients » et en fait très rapidement il y a eu adhésion de la part des bénéficiaires qui ont répondu à nos propositions d’aide tant sanitaire que sociale. En amont, nous avions établi des partenariats pour avoir des places dans les centres d’hébergement d’urgence qui existaient et avec les urgences hospitalières de l’AP-HP pour pouvoir accompagner les SDF qui nécessitaient des soins.
J’étais dans une équipe avec un chauffeur et une assistante sociale de la Ville de Paris, et il y a eu très vite une cohésion dans l’équipe, qui était motivée par le sentiment de participer à une aventure unique, nouvelle. Que ce soit l’assistante sociale ou moi-même, nous avions déjà un parcours professionnel ancien auprès du public cible, ce qui nous a permis d’entrer facilement en contact avec les bénéficiaires.
Une anecdote d’une maraude à partager avec nous ?
Ce n’était pas pendant la première maraude, mais j’ai un souvenir très précis que je souhaiterais partager ici. C’est celui d’un SDF que j’avais connu déjà à l’hôpital de Nanterre. Nous l’avons retrouvé à l’hôtel Mac Mahon, près de l’Etoile.
Le jeune réceptionniste nous avait appelés pour qu’on vienne prendre en charge cette personne. C’était la fin de la nuit, vers 5h du matin. C’était un clochard « typique », avec la barbe fleurie, très sale, avec ses 10 sacs en plastique, alcoolisé… Et le jeune réceptionniste avait été ému de voir une personne âgée comme lui à la rue, il lui avait proposé de se réfugier dans le hall de l’hôtel. Mais on voyait aussi que le réceptionniste était paniqué à l’idée de la réaction de sa hiérarchie qui découvrirait qu’il avait laissé entrer un SDF dans le hall, et lui avait proposé de s’installer sur les canapés blancs. Du coup extrêmement soulagé de nous voir arriver pour prendre en charge la personne que nous avons accompagnée dans un premier temps à une permanence de la Croix Rouge pour des soins d’hygiène et ensuite vers le centre de Nanterre. On a donc terminé notre nuit bien plus tard.
Il nous est arrivé parfois de proposer nos services à des personnes qui attendaient le bus de nuit…. Et étaient étonnés qu’on leur propose nos services. Il était choquant aussi parfois de devoir s’imposer en termes d’accueil dans certains services d’urgences, car les SDF n’étaient pas les bienvenus, du fait de leur problème d’alcool, de leur état d’incurie….
Et pour revenir à cette première nuit, quelles impressions lors du débriefing ?
La surprise de constater qu’il y a eu un grand nombre de SDF approchés et pris en charge. A l’issue de cette première nuit nous avons pu faire un bilan sur ce qui a été vécu et proposer des améliorations pour les futures prises en charge.
Le sentiment avant maraude de participer à une aventure a réellement été confirmé par cette première nuit.