« Le Samusocial, il existait déjà dans ma tête, des équipes mobiles aux lits infirmiers, j’avais bossé dessus et j’en comprenais le schéma, je voulais le monter à l’instar du SAMU médical. J’avais réfléchi sur la mobilité par rapport aux flics parisiens de la BAPSA, pas toujours des assistants sociaux comme on le sait bien, les « Bleus » , ainsi surnommés par les SDF. A l’époque dans le code pénal, il y avait encore le délit de vagabondage. Les sans-abri étaient ramassés par la BAPSA et amenés à Nanterre.
On avait encore l’image du clochard qui choisit sa vie de rue, qui picole. La légende urbaine parlait d’un médecin qui avait choisi d’être clochard.
Mais les gens ne voyaient pas la souffrance.
Moi je l’avais vue la souffrance, d’abord à Fleury Merogis, puis à Nanterre. J’ai compris la souffrance psychologique, la perte des codes, du temps, du corps. J’ai compris qu’on ne pouvait pas donner un rendez-vous. Ainsi je voulais faire, à l’instar du SAMU, aller à la rencontre et PROPOSER et non imposer. J’ai présenté le projet à plusieurs acteurs, l’Armée du Salut, le Ministère de la Santé… Et puis il y a eu la rencontre avec Chirac, maire de Paris et challenger de Balladur à la présidence. Son programme c’était la Fracture sociale. Il avait fait la carte Paris Santé.
« Toubib on va le faire. »
Il a passé quelques coups de fil devant moi. Il nous a trouvé un local rue René Coty dans un dispensaire municipal, plus tard il nous mettra à disposition l’hospice Saint Michel, un ancien hospice pour « pauvres honteux » comme stipulé dans le testament de Michel Boulard. Il a téléphoné au Ministère de la Défense pour demander des mises à disposition d’infirmiers. Il a demandé des camionnettes à Transdev. Il a téléphoné au colonel de l’Armée du Salut.
Il nous a obtenu un numéro vert le 0800 306 306, même si je planifiais déjà le 115 par analogie avec le 15.
Il a monté toute une campagne de communication avec des affiches dans Paris qui annonçait que « le Samusocial va arriver».
Au fur et à mesure que ça se préparait, je commençais à flipper. Je continuais à exercer à Nanterre.
Et il y a eu le coup de fil de Chirac le matin du 22 novembre 1993.
« Salut toubib c’est pour ce soir. Tout est prêt, j’ai prévenu les télés, il y aura tout le monde ».
Tout le monde en effet était là rue René Coty ce soir-là . Tout le monde à scruter le téléphone posé dans la salle. On avait commencé à 20h30. Rien. Le temps qui passe. Je sens la pression monter mais heureusement j’ai le regard confiant de Chirac en face. 21h15. Enfin le téléphone qui sonne. C’est une dame qui appelle : « j’ai un clochard en bas de chez moi, dans ma rue ». L’opérateur lui répond « Pas de problèmes Madame, une de nos équipes va partir ». L’équipe part. On attend 15-20 minutes. Re-coup de téléphone. « C’est moi qui vous ai appelé tout à l’heure ». « Oui Madame, une équipe est partie directement, elle doit être tout près de chez vous ». « Oui oui ils sont venus, ils ont même emmené le Monsieur mais ils ont oublié de prendre les cartons ! ». J’avoue qu’en l’entendant nous étions déçus que la dame ait confondu secours et … nettoyage de rue ! Mais a- t- on vraiment changé de point de vue aujourd’hui ?
La première nuit, on a maraudé, mais les SDF avaient peur, peur qu’on soit les « Bleus » de la BAPSA. Ils nous fuyaient.
C’est pour cela que j’ai parlé ensuite aux équipes du nécessaire apprivoisement de la personne. «Â